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FILER LES TANGENTES



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Filer Les Tangentes
Une performance 2023

Il y a 137 ans, le cinq mars 1886, un certain Charles Gallo lançait une bouteille d'acide prussique dans la Bourse de Paris, du cyanure d'hydrogène. Ce n'était pas très gentil et un peu dangereux. Il était anarchiste et revendiquait alors accomplir un acte de propagande par le fait. Soit l'idée que la période d'affirmation par le texte et le verbe est révolue, qu'il faut alors passer à une période d'action. Cela peut passer par la révolte ou, comme je vais l'utiliser, la révolution de la roue de bicyclette.

Aujourd'hui je lance un appel pour Filer les Tangentes.

Je ne recevrai pas d'aide de Bernard ni de son fils, pas plus de François. Alors c'est à vous, les sain.es à qui je m'adresse. Il n'y a évidement que vous. Vous êtes tellement plus riches et nombreux qui puissiez participer sincèrement avec amour et sympathie à la bonne réalisation du projet que je lance pour ce bel et inoubliable été 2023.
Un défi.
Une performance.
Tout un poème.

Filer Les Tangentes est une action artistique qui durera un peu plus de deux mois. Je veux voir si, comme Ulysse, mais plutôt Erasme, Sweig, Dürer, van Eyck, Vermeer ou Vinci, Goethe ou Van Gogh, on peut encore aller dans quelques villes, rencontrer quelques amis artistes, savants, chercheurs, inventeurs ou poètes. Je prend la route pour voir si on peut traverser quelques plaines, fleuves et montagnes. Je monte sur le vélo pour savoir si la découverte peut être au coin de la route. Si en traversant des pays voisins on peut rencontrer d'autres couleurs. Je vous sollicite donc pour entrer dans la production de cette œuvre par une collecte participative.
Relier València à Chambord c'est une course historique. Pas une destination, mais une boucle pour tisser des liens. Elle rappelle aussi celle de quelques autres aïeuls, dans d'autres temps qu'on dit plus risqués et mortels, mais le temps d'aujourd'hui est-il si doux ? Comme les routes ne sont pas droites, je remonterai (dans le sens du planisphère) jusqu'au port de Delft vérifier s'il est toujours autant magnifique et lumineux, ou ce qu'en a fait la révolution chimique, la révolution du confort imperméable.
La révolution des plaisirs sédentaires.
La révolution des individualismes.

Pour le temps d'un vol jusqu'à Beijing et pour un prix plus élevé qu'un AR à Marrakech, il me faudra rejoindre mon point de départ, l'Ermitage des Saints de la Pierre, en train. J'ai aussi besoin de quelques matériel de couchage sauvage (une tente, un matelas léger), quelques nuits restauratrices dans des hôtels, des lavages et des kilos d'amandes et de cacahuètes. Et aussi des cartes de mémoire et un capteur de soleil pour filmer et photographier, enregistrer mes rencontres, nos paysages.



Chengde

Vue d'exposition - Dagao art Center - Chendge, Chine. 2020



Filer Les Tangentes est une performance artistique à vélo. Elle tourne dans une boucle drapeauïde concentrique à travers un espace dont les frontières sont invisibles pour les résidents et nationaux des pays traversés. Ce parcours cherche les rencontres et les inspirations au premier quart d’un siècle qui sera bouleversements. Il plonge dans les racines, reproduit des routes anciennes, du début de l’homme jusqu’à ses robots intelligents, jusqu’à sa fin. Plus rapide que la lumière, est-ce qu’il y a encore des liens entre chacun de nous, réels, entre notre esprit tellement supérieur et nos environnants ? Je n’ai encore ni réponse ni de point d’arrivée sinon un retour à mes racines dans le pays des châteaux et d’une époque où prenait germe la révolution des industries et celle du digital contemporain, au bord de la Loire. Au départ du Parc Naturel de l’Albufera, près de Valence en Espsagne, aura une durée de deux mois et demi, de début juin à fin aôut 2023, pour une distance de 5000 kilomètres.

Il y a deux grands axes pour cette performance artistique, qui traverse huit nations européennes. Le premier est de parcourir le continent comme ont pu le faire mes prédécesseurs, nos aïeuls, dans les siècles où les industries n’existaient pas, à un rythme qui permet vraiment le voyage et la rencontre. À vélo, une journée de route, 80 à 100 kilomètres, c’est déjà traverser et souvent changer de pays. Avant le XIXème siècle, on traversait l’Europe pour lire d’autres histoires, pour rencontrer des nouvelles techniques, voire des pratiques avec d’autres couleurs. On expérimentait les sens. On traversait du nord au sud ou d’ouest en est. Dans un temps pour s’imprégner, réfléchir, penser, écrire. Aujourd’hui on arrive, on instagrame et on retourne. C’est fini. L’intelligence est artificielle.

Le second axe de lecture est de se porter à la rencontre d’habitants, d’acteurs, de fabricants, de chercheurs de l’environnement et des biodiversités. Nous sommes beaucoup dans un ou deux réseaux. On aime bien la permaculture ou les petits oiseaux locaux et migrateurs du ciel. On milite dans un parti ou on agit dans une association pour des jardins nourriciers. On retape des déchets ou on invente des outils pour un confort moderne. On entretient des cabanes de bergers dans des montagnes ou on ramasse les bouteilles sur les plages. On construit sa maison en bois et en paille locaux ou on a fini de prendre l’avion. Il y a mille gestes, mille actions. Je ne ferai pas un quadrillage pour faire un recensement exhaustif, mais je vais engager un tissage de liens entre nombre de ces styles de vie.

Il y a cinq cents ans Leonardo da Vinci pouvait tout voir, vivre et inventer. Aujourd’hui on ne trouvera plus un savant, un ingénieur de génie civil ou militaire au top de la littérature ou de la peinture. Ni l’inverse.
En revanche il y a des multitudes d’yeux, d’oreilles, de mains, de cerveaux orientés dans leur spécialité, déjà en train de trouver et d’expérimenter des petites inventions qui transforment les grosses machines économiques et industrielles qui nous noient. Je veux aller à ces rencontres.

Filer Les Tangentes recompose un chemin après la performance similaire CDG2CPH, en 2009, qui m’avait vu relier en vélo l’aéroport de Paris CDG à celui de Copenhague, CPH, puis une exposition des notes et enregistrements photographiques ou vidéo dans une galerie de la capitale danoise durant la COP15. Cette action avait démontré la possibilité encore actuelle, et plus que jamais nécessaire, d’utiliser un autre moyen simple, juste à la force des jambes et au courage pour rejoindre un lieu de travail. Presque quinze années après ce projet, il est toujours évident que nous, ou plutôt les chefs décisionnaires politiques et industriels, avons la volonté de trouver un autre rythme à nos vies que celui qui, nous en sommes maintenant absolument certains, la détruit partout autour de nous, influence le climat et nous emporte dans un univers inconnu. C’est bien sûr toujours une excitation d’aller vers l’inconnu, vers la découverte d’un monde nouveau. C’est ce qui fait l’homme depuis qu’il marche sur deux pattes. Pourtant, cet univers qui s’ouvre à nos yeux et à notre compréhension semble bien dévasté. On l’appelle anthropocène, on l’appelle extinction des espèces. En sommes-nous ? À l’image de ce que nous avons infligé à toutes les vies sauvages. Des populations sont décimées pendant que notre espèce ne cesse de croitre (jusqu’à quand?). La biodiversité, le vivant aussi divers qu’infini, perd des milliards d’individus chaque année, des milliers, des millions (?) d’espèces, elle s’effondre, tandis que nous nous réjouissons de ne subir aucune « victime » dans quelques détails désastreux.
Tourner en rond, tourner en drapeau, mais tourner les roues pour rejoindre la source. Une source. Une origine. Une originalité. Retrouver l’histoire, nourri de rencontres qui n’auront pas été prévues, nourri de rendez-vous qui auront été préparés, avec des artistes, des chercheurs, des inventeurs, des cultivateurs, des penseurs, des artisans, des femmes, des hommes. Souligner le grand mélange des pensées qui nous a fait marcher debout. Retourner voir le grand génie qui inventait aussi bien le monde d’aujourd’hui. Qui représentait la beauté céleste de l’univers et celle vivante de notre communauté. Léonardo da Vinci, inventeur de notre monde moderne, était sans frontière. Il regardait, observait, travaillait à comprendre plus que les sens pouvaient lui donner.

Dans cette performance, le chemin dans le monde me fera parcourir, peut-être découvrir et observer divers secrets parsemés dans quelques coins du continent. Par les découvertes et les retranscriptions en images et en textes, plus loin en récits et en performances, en transmission, je veux déployer un filet et montrer que des expériences, de faire, de vie, autant de variations que les kilomètres parcourus, peuvent se lier entre elles et apporter des espoirs, des solutions, des visions de notre futur, loin des technologies utiles mais souvent outrancièrement destructrices devant lesquelles nous sommes absorbés, noyés, séparés les uns des autres. En deux ou trois mois de route, ces faibles et ténus exemples rencontrés, affichés, pourront peut-être montrer une fraction de l’immense nombre de tangentes, de modulations, d’alternatives de liens, de cordes, de toiles, de possibilités d’avenir.

La fin de ce parcours, entre Chambord et Amboise, s’accomplira près de la maison où j’ai vu le jour.



Marronnier

Marronnier - photographie numérique - 2022 - dimensions variables



Une note d’intention

Engager le corps. Engager l’individu. Engager l’ego. Comprendre l’alentour. Se poser au sol. Cheminer. Faire le lien, relier. Tisser. Dévoiler les tissus. Parcourir et montrer les couches. Documenter l’unicité complexe et évidente.

À peine avons-nous construit un continent, il était déjà dépassé par nos outils. Trop de conflits ont dû empêcher le fonctionnement amoureux de notre union bicéphale.
L’allemand reste le boche.
Je ne sais pas qui je suis. Ils ne me l’ont jamais dit.
Un grincheux sans discipline ? Si peu d’échange.

Nous connaissons quelques nous de l’autre. Mais il en est toujours un autre.
Nous portons chacun un imperméable à peu près étanche.
Heureusement il y a des infiltrations. Quelques gouttes, quelques fissures.
Pourquoi ne pas entrer et refaire ce lien d’avant les frontières – tant regrettées pas Stephan Sweig ?

De l’autoroute à l’aéroport nous avons oublié le voyage. Commençons à reprendre quelques balades, randonnées, expéditions, errances, alentours à un vrai rythme du corps, aidés par un joli outil, la bicyclette.

Comprendre l’Europe des artistes et des écrivains, du Moyen-Âge jusqu’à la fin du XIXème siècle. Engager une boucle, dessiner un drapeau, un chiffon. Sur cette route historique, de Valence à Delft, de Salzbourg à Florence et du Vercors à Chambord, relire l’histoire de la culture. Et trouver aussi sur ce chemin de Paris à Cologne, Turin et Grenoble, la culture de la low tech, un autre pendant de la recherche de l’humanité.

Soixante étapes pour expérimenter la poésie de la rencontre et de la présence de l’autre. Est-il là réellement ? Encore visible en quelques endroits ou est-il déjà et uniquement remplacé par une vignette d’écran Zoom ou une image IA, inventé par un robot pour répondre aux normes de la contrainte de beauté et plaire toujours ? Est-il déjà complètement sous le contrôle de quelques étudiants américains, pas cools et pas jeunes.

Leonardo da Vinci travaillait dans ses inventions diverses et toujours à relier les fluides de l’imagination. Tout son travail n’est que synthèses pour révéler les proximités de la pensée, de la poésie, de l’écriture des sciences, des processus de création et des processus naturels. L’homme n’invente rien que les lois de la chimie et de la physique n’ont déjà montré depuis la naissance infinie des univers. Ce ne sera que dans l’observation aigüe et profonde du monde, dans la manipulation de tout élément naturel que, comme dans un travail de chlorophylle frottée sur un drap de Giuseppe Penone, nous tirons de la sève et du pigment, les conditions de la création.

C’est dans le chemin que s’engendre le poème.
Je le prends.
Je le rejoindrai.
Je l’écrirai.
Retourner sur les bords de la Loire qui ont vu travailler un des plus grands génie de l’humanité, après avoir tourné en rond en Europe. Après avoir rencontré. Après avoir enregistré des portraits, des paysages. Après avoir écrit des récits poétiques. Après avoir touché. Après avoir été touché. Retourner sur le bord de ce fleuve encore vivant, c’est rentrer avec un fil de pensées d’artisans, d’ingénieurs, de paysans, d’artistes, qui sont, chacun, quelques fragments de temps après le début de la Renaissance, aujourd’hui, autant d’inventeurs de la poésie que le génie du parachute et de La Joconde.

La proximité digitale est une « positivité morte ».

Partir et rouler, rouler et trouver, pour sortir des relations digitales, hors du temps et des distances. C’est chercher la proximité annihilée par les écrans dans nos mains.

Le développement des grands moyens de communication numérique nous fait miroiter un bonheur optimisé et radieux. Celui qui est en expérimentation pour les moins cadres, les moins ingénieurs, les bas potentiels, le bonheur des relations distanciées et des voyages virtuels. Les services sont devenus des marchés de compétitions. La poste ne délivre plus de courrier. Les amphithéâtres des universités sont des espaces vides. Les trains ne sont accessibles qu’avec un appareil digital et intelligent. Les soins médicaux sont opérés par un logiciel. L’artiste, ni le philosophe, ni le poète ne sont plus nécessaires puisque les robots, les IAs inventent, écrivent, conceptualisent, créent. Les contacts directs et même virtuels entre les individus sont obsolètes et inutiles. Nous nous souvenons bien des activités inutiles. Le printemps de 2021 n’est pas loin encore et pourtant nous ne savons déjà plus quand, ni vraiment s’il a eu lieu. Nous avons tous été volontairement internés confinés. Depuis, le tout nouveau normal prend sa forme sans rejet et à peine quelques vomissements muraux contestataires. Les décisions de pilotage sont tellement complexes et demandent tellement de remises en cause. On peut facilement se représenter que nous sommes, tous ensemble, dans ce siècle de globalisation générale, comme ce navire en pleine nuit et à pleine vitesse, il y a cent onze ans à l’approche de l’iceberg. On peut même croire que nous l’avons déjà touché. Alors, les chefs de bords, obtus et effrayés, ferment les portes et les issues de secours. Ils continuent, bornés (les noms ne sont certainement pas anodins), parlent de poésies apprises par cœur, sans esprit sensible sinon un air donné, et continuent leur ouvrage.

Faire un tour d’Europe ce sera poser la question de savoir s’il y a encore en quelque endroit des individus capables de survivre, de rencontrer et d’accueillir l’inconnu qui arrive chez eux. Est-ce qu’il est possible de rencontrer des semblables qui n’ont pas à demander un avis à un logiciel pour prendre des décisions ? Aujourd’hui les employés ne sont plus remerciés. Aujourd’hui les auto-entrepreneurs sont bloqués par les apps de travail. Il n’y a plus d’écoute de patron ou de collègues. Il y a un software qui est MAJ tous les deux mois, optimisé pour la rentabilité du patron, du propriétaire, des actionnaires, des investisseurs. Certainement pas pour les utilisateurs indépendants qui n’ont d’autre choix que d’espérer avoir les meilleurs shifts. À quatre Euros l’heure. Jusqu’à la mort.

Ce qui semble primordial dans la poursuite de l’enfermement des corps et des esprits, subit, accepté, volontaire, c’est la plus grande peur que nous ayons. La peur de la blessure, de la chute, la peur de la souffrance, de l’insécurité. La peur de la mort. Nous avons conçu, nous utilisons des machines aux intelligences artificielles qui inventent des images numériques et les actions de calculs pour acheter et vendre en bourse au plus vite et au meilleur prix, séparent les plaquettes du plasma, extraient du sang, mesurent l’usure des chaussettes. Tous ces outils rendent les vivants inutiles. Ils s’ajoutent aux efface-poussières et aux éventre-tomates, aux films qui durent cent heures, au défilé infini des Réels. On ne sait même plus quand le cerveau serait indisponible. Demain c’est les soldes ! C’est les soldes toute l’année.
Alors, la tangente.
Il faut quand même chercher un peu pour savoir s’il y a un autre choix que le siphon globalisé. Un tourbillon dans lequel quelques langues et identités se fondent, peu à peu, l’une dans l’autre. Avec douceur parfois, mais souvent plutôt violemment et toujours financièrement. Il y a toujours un marchand et un vendu. Nous avons inventé ce trou noir avant même de n’en avoir jamais vu l’image d’un seul vrai.
Mais nous sommes des animaux sociaux, hors de la compétition dans laquelle il faut éliminer, faire disparaître, quelque ennemi. Mais gentiment, sans doute.
Ou alors, partir quarante jours, jeûner dans un désert. Et après ? S’enfermer dans un monastère.
C’est une autre piste.
Et un petit sillon entre les deux ? Entre le béhémoth et l’ermite ? Entre le diplodocus ou tyrannosaure et le moustique ou le virus ? Avant de retrouver quelques élus, élites narcissiques, Les Furtifs de Damasio sur une planète éloignée à quelques mois de distance, pourquoi ne pas tenter de trouver sur nos territoires connus, originels, dans un délai identique de voyage, quelques pépites, quelques graines, jeunes pousses, frétillements, sauvages et barbares nourricières ? N’y a t’il pas quelques vieilles lumières, des descendants de Léonardo d’ici ou d’ailleurs, qui inventent une vie de raison ?
Une tangente courbe, qui ne cherche pas à fuir à s’éloigner, mais à tisser, à lier.
Une tangente comme une aiguille avec un chas.



Chardons 01

Chardons 01 - photographie numérique - 2023 - dimensions variables




Un Poème
Filer Les Tangentes


Faudrait-il connaître, rencontrer, cataloguer
les espèces vivantes de notre monde pour les préserver ?
Le monde était bien organisé et sans dégât cataclysmique
avant que nous ne pensions organiser la fabrication de notre nourriture.
Comment des lois écrites peuvent-elles sauver des espèces de la disparition ?
Comment penser qu’aller déranger des inconnus peut les sauver de notre destruction ?
De leur disparition.
L’expérience nous montre systématiquement le contraire.
La mort.
Par sa seule présence et organisation, l’homme tue, détruit, réduit à néant, fait disparaître.
La seule survie des espèces autres, étrangères ne peut survenir que par l’absence
d’interaction, de classement et de recherche.
Quel défaut cela peut-il être que de ne pas avoir connaissance d’une vie autre ?
La science, dans cette action n’est pas bonne.
Ni pour l’homme, ni pour l’écologie.
Seule une organisation aléatoire, anarchique, est salvatrice.
Quelle vie offrons-nous aux vivants dans des univers
minéraux, bétonnés, goudronnés, nettoyés et organisés pour notre seul confort ?
On ne compétionne pas.
On ne régule pas.
Aucune loi ne peut être écrite.
S’il y en a,
elles ne peuvent être heureusement que souples et changeantes.
Le nombre et le tableau nous apprennent combien nous sommes.
Ils nous certifient à qui appartient le plus gros tas de blé.
Quelle importance ?
Quelle importance ?

Il y a quoi après les milliards ?
Quelle fin ?
Le chiffre, l’optimisation, la numérisation, le tableur,
Sont destructeurs.
Nous connaissons maintenant l’histoire.
Cela fait dix mille années que nous courons.
Nous courons vers la perte.
Nous avons à peine évolué depuis 250 millions d’années.
Sinon dans la puissance.
La troisième extinction s’est réalisée en centaine de milliers d’années.
Celle que nous avons provoqué, la sixième,
sera réalisée en quelques siècles. Peut-être moins, un ou deux.
Si nous continuons d’être bien plus efficaces que des poireaux.
Il y a des chances.
Mais il n’y aura personne, tout de suite,
pour graver ça dans un tableau.
Et si on ne s’en souvient pas ?
Quelle importance ?
Nous gardons en survie des vieux qui ne savent même plus qu’ils existent.
Dont le cerveau en bouillie ne sait plus faire que des grognements.
Pour la recherche de la science et des chiffres, pour l’espoir de battre l’infini de l’espace,
Pour l’espoir de battre le corps et le vivant,
Nous battons les records pour sauver quelques sourires perdus.

Dessiner un drapeau, un guide, un étendard, un filet à papillon,
un filet à histoire, un filet à idées,
un adieu à mes enfants.
Garder un optimisme dans un monde contemporain
qui se réfléchit en permanence de son nombril depuis Foucault,
Où les parties les plus faibles sont littéralement noyées,
Pakistan été 2022, indifféremment,
ou brûlées,
Australie, Portugal, Congo, Brésil, France, États-Unis, Sibérie,
dans l’indifférence totale, sinon une brève émotion,
« C’est triste quand même pour les petits oiseaux »,
« C’est dommage pour nos petits-enfants, il ne connaîtront pas le ski l’hiver ».
Il existe partout une force de vie ‘animale’ qui traverse encore les humains.
Ces vieux singes évolués.

Filer Les Tangentes trace un dessin à travers l’Europe,
parcours entre différents lieux mythiques, essentiels,
fondateurs,
de l’histoire de l’art
de l’histoire de l’humanité,
de l’histoire du basculement de la connaissance
de l’abandon de Dieu comme seule justification,
de la découverte de la puissance infinie de l’homme
grâce aux technologie, aux sciences,
à la dernière appropriation des ressources naturelles,
après les grandes découvertes du feu, des métaux, de l’agriculture.
Les énergies fossiles.

Une performance, Filer Les Tangentes
trace un chemin à un rythme similaire
à celui des artistes
dans leurs voyages à travers le continent il y a trois, quatre ou cinq cents ans.
Trois mille ans
Il trace un chemin sur leurs pas, dans leur rencontres des différences, des autres,
des cultures, des lumières, des paysages,
de la compréhension de l’homme
de la compréhension du monde à échelle du doigt et de l’œil.
De la compréhension du monde à largeur d’épaule,
à force du pied.
Sous le soleil et les étoiles alignées.

Filer Les Tangentes trace un drapeau qui n’est pas un maillage
mais montre une partie, un potentiel
au travers, en traversant huit pays européens
Espagne, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Slovénie, Italie et France,
ce tissu fragile et délicat
mais dense et serré
que sont les relations de la vie de proximité
des histoires vivantes de partage, d’échange et d’accueil.
Partout.
Loin de la course au rendement, à l’optimisation.
Loin de la normalisation des tableaux, des profits individualistes.
Loin de l’envie destructrice et des rendements ravageurs.
Dessiner un drapeau dans l’espace de l’unité européenne,
un étendard des solutions économes et sobres.

Filer Les Tangentes dessine un filet pour attraper quelque papillon
dans les pas d’un Érasme qui aura compris sur son chemin
la volonté des hommes de se confronter à une normalisation.

Est ce que je trouverai un uniforme couvrant tout ce paysage ?
Je ne pars pas à la recherche des mêmes couleurs que les peintres du Moyen-Âge
et de la Renaissance.
Est-ce qu’il y a des déchirures dans les montagnes ?
Le Mont Blanc s’effondre.
Les orages en déluges noient les vallées.
Est-ce que le filet retient quelques papillons ?
Peuvent-ils tous se connaître ?
Ou ont-ils des liens invisibles
mais solides ?

Bifurquer ?
Retourner.
Restaurer ?
Révolutionner.

Retourner au point de départ.
Nous avons du prendre une route mauvaise.
Pourtant plus nous fonçons, plus nous comprenons
notre erreur.
Mais on dit que c’est l’autre
le responsable.
L’autre de trop.
Le barbare, le pas blanc, le pas mâle.
Celui qui ne ressemble pas au dieu inventé.
On croit le mot du cœur, tandis que la main
ferme et arrache.
Nous ne sommes pas séparés pourtant.
Nous sommes un.
Nous sommes uniques ensemble.

Je suis parti en Chine cette première fois il y a quatre ans,
J’ai passé les 10 premiers jours de ma résidence entouré
d’une trentaine de personnes âgées, membres d’un club de peinture.
Que des vieux, de l’âge de mes parents, ou moins.
Nous nous croisions qu’aux repas, dans une immense salle commune.
Au début seul avec Lin, mon assistante chinoise,
Puis nous avons rapidement passé la dernière semaine à partager
une grande table à dix ou douze.
Ils m’ont raconté leur activité, posé des questions.
Il n’y avait pas assez de traduction, ça allait trop vite.
Trop de joie, d’inconnu à découvrir, à partager,
trop de vie qui entrait dans la leur.
Trop d’étranger mal famé, effrayant par les récits des leaders.
Pourtant de ces heures à entendre, à écouter un langage inconnu,
répondre, partager, découvrir des plats, des boissons, des gestes,
des rires, des histoires, des oppositions, des souffrances,
des histoires de paysage, des sentiments, des sensations,
j’ai pu comprendre
tout un pan du caractère, de la vie et de la culture
des ces femmes et de ces hommes de 70 ans.
Les souvenirs d’une vie barbare.
Mais toujours neuve, dans laquelle l’histoire de la nature, du paysage,
de la terre est plus grande que nos vies. Toujours.
Inclus.

Depuis dix mille ans nous avons inventé des outils pour contrôler,
organiser, civiliser, désauvager,
tirer au mieux ce dont nous avions besoin dans nous-même, dans la Nature.
Mais au milieu du deuxième millénaire nous avons commencé à glisser.
Nous avons construit des technologies tellement puissantes
que nous pensions nous être extrait de cette Nature.
C’était un souhait, une prière répétée.
Elle est mal et sale, sauvage – nous voulons nous en extraire.
ou seulement en prendre loisir.
Nous avons atteint une force,
pour le profit, l’efficacité et la productivité.
Pourtant tout ceci est bien inutile, futile.
Seulement vanité.
On accepte aujourd’hui quelques sorcières. On tolère.
Qu’elles restent dans leur case.
D’abord produire, engranger. Continuer le tas de blé.
L’autre n’est pas différent.
L’équilibre, de l’évènement naturel,
de l’ensemble du vivant, du visible, du solide,
du gazeux, est fragile et harmonieux.
Nous sommes l’autre aussi, toujours.
Nous sommes l’harmonie.
Nous sommes une partie de l’énergie.
Nous ne sommes qu’une partie de l’ensemble.
Et chacun est une partie. Il n’y en a certainement pas
une meilleure, une plus forte, une plus indispensable.
À vouloir tout comprendre analyser, maîtriser,
Classer,
nous excluons, nous visitons, nous corrompons.
Nous détruisons.
Est-ce si utile de vouloir tout cataloguer ?
Est-ce si utile d’arrêter de mourir ?
Plus nous repoussons la fin, la mort,
plus l’espérance de vie est grande,
moins il y a de vie.
Il ne reste que la peur de la disparition.
C’est la première chose que nous ayons comprise.
Le rite de la mort nous a extrait de la position animale.
Et pourtant non.
Et nous avons inventé la suite. La fuite.
Le au-delà. Le plus loin que les étoiles. L’infini.

Pourtant tout est là. À portée de regard, de marche, d’un souffle.

La frontière est un imaginaire. Le pays est autre au-delà de l’horizon.

La tête. Où est la tête que nous avons perdue ?
Depuis qu’un homme s’est cru conquérant de l’univers,
et puis un autre, le tombeau célébré, intouchable,
la décadence s’enchaîne au même rythme que les découvertes
de la science, de la croissance, du pouvoir, de la puissance,
vaines.
« Les progrès de la science déroulent un cortège de découvertes successives qui détruisent les unes les autres et se détruisent jusqu’à la fin de notre pauvre petit univers. »

Les actions ni les œuvres des artistes ne peuvent ressembler
à l’ambiance générale,
elles ne peuvent être le reflet de la pensée des empereurs ou des savants,
elles sont étrangères au rythme universel.

Notre histoire semble se résumer à une marche vers nulle part.
Vers une frontière.
Dans le vide.
Lydie Jean-Dit-Panel est allée à pied de New York jusqu’à Nowhere en été 2022.
Elle prendra l’autre sens, depuis le Pacifique l’été prochain.
En même temps Ridah Dib marchait de Paris jusqu’à la frontière Turque de la Syrie.
Et encore Vincent Dieutre arpentait à pied, suspicieusement, les rues de L.A.
Seul.es.

En parcourant le chemin, solitaire, on poursuit ses origines.
On retourne dans l’histoire passée.
On remue les pensées anciennes pour goûter la moelle des savoirs.
On plonge dans les racines de l’art.
On écume les sources de l’humanité.

Dans ce voyage sans but, cette boucle sans retour,
j’espère trouver autre chose que l’uniforme bourgeois égoïste endossé partout.
J’espère rencontrer des accueils pour un artiste bipède et cycliste,
j’espère retrouver les mêmes élans que dans la performance CDG2CPH,
qui m’avait mené de Paris à Copenhague,
dans une fin d’automne.
Sommes nous entrés dans l’hiver ?
D’autres portes, d’autres tables, d’autres dons de plaisirs
et d’énergies,
seront-ils encore offerts sur cette nouvelle route, plus longue,
dans ce climat qui n’a pas changé de route ?

Ce climat qui fonce vers la désolation.

Est ce qu’il y a des petites lueurs, disséminées ?
Une résignation absolue ?
Un désarroi déjà installé ?
Un abandon de projection heureuse ?
Un soucis insensible du bonheur ?
Ou des foyers de chaleur ?
Des chercheurs engagés dans le partage.
Mais le partage fait peur.
Il sépare le tas de blé.
Il est plutôt une notion négative.
C’est la division, la distribution, le morcellement, la scission, le fractionnement,
le démembrement, la liquidation, le dépeçage,
la différence,
l’aliénation.
Le partage c’est la fin de la rente.
Le partage c’est ne plus être soi-même,
quand Instagram, tous les réseaux sociaux, les médias,
ne demandent qu’à exposer les egos.
En image.
Toujours aussi simple.
Ne plus être soi-même et pourtant
n’être qu’un miroir plat et glacé.
Qui veut s’abandonner ?
On défend l’identité.
Depuis les colonies nous avons une carte qui les définit.
Qui veut sortir de sa case ?
Qui peut sortir de sa case ?
Qui ose sortir de sa case et changer de couleur ?
Abandonner son identité ?
Une identité définie par des codes, des lois, des mesures.
Quelle est la légitimité de ces lois ? Elles enferment.
Elles ne libèrent sûrement pas.
Solarpunk
Punk Solidaire.
Do it yourself
Do it together. Do it with Other.

Adieu mes enfants.



Tournesol

Tournesol - photographie numérique - 2021 - dimensions variables





All Photographs © ADAGP - Guillaume Dimanche